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Au risque de vous plaire

A vous qui regardez,
A Marie Javouhey, l´artiste peintre.

Il y a quelques temps déjà, j´étais là. En fait, je suis souvent là, près du rosier. De l´extérieur je vois à l´intérieur mais aussi au dehors, de l´autre côté, puisque la pièce est doublement exposée. Cette pièce carrée, ou presque, a des ouvertures sur chacun de ses côtés.il y en a six en tout.il y a tellement de passages .Il y a tant de circulations possibles. Et même si c´est fermé, si vous le voulez, vous trouverez la clef.la pièce est grande : un volume de chapelle, des baies vitrées d´usine, une charpente apparentes de bois et de fer font régner un esprit de travail et la paix de l´esprit. Elle est forte en la matière.je regarde et j´apprécie.
Seul la musique peut combler cet immense volume d´atelier. Seule le peintre peut l´habiter et l´habiller. Je la vois debout, ici, devant les châssis. Elle s´entoure de meubles de métiers détournés ;un zinc de cuisine en guise de palette, des chevalets crottés à choix multiples, un bureau d´imprimeur pour la matière première de fibres et de papiers, un présentoir d´une boutique de chapelier en bibliothèque, un fauteuil club de cuir souple du Maroc qui parle de lui-même, de dinettes de ses p´tites filles pour l´historiette et un gros coffre bleu plein de perles ,pâtes à modeler, feutres ,craies et gouache des familles en activité. Chaque objet a son esthétique ou sa fonction, le plus souvent les deux et de part cette beauté, ce travail ou ce jeu symbolisé, il a une histoire. Celle-ci nous mène vers un ailleurs d´espace et de temps. Deux cadrans d´horloge s´intercalent entre les deux portes fenêtres. L´un donne l´heure, l´autre pas. C´est à vous de choisir, d´entrer ou de sortir, à l´heure ou pas. Une grande table imposante accueille ses outils de mécanos ; tourne vis, pince, ciseau, règles cutters et marteaux. Sur cette grande table en chêne aux pieds de fer noir, la bouteille de café chaud trône en place calculée pour ne pas tacher dans ce grand chantier de travail organisé ; un saladier de feuille teintées déchirées, cartons, marquises, colles, stylos, pinceaux…Le bureau où seule une feuille de bloc note suffit à délimiter un espace d´écriture administrative est recouvert de CD. Lui aussi est noir, vous pouvez à peine le voir. La couleur ?elle est très présente sur elle, sur la palette, sur les tapis, sur la toile. Elle tranche avec le blanc des murs et le noir du bureau que prolonge le lecteur de disque attaché aux grandes enceintes .Ils sont reliés par la teintes des bois assemblés, de la pierre foulée, de la terre plantées et par la lumière des flammes dans ce poêle décalé du centre de la pièce. Les grandes ouvertures gardent un œil sur la nature et ramènent à l´intérieur la clarté de ses intempéries.
Ses habits sont indescriptibles, couleur labeur, méconnaissables. Parfois vous devinez un bleu de travail mais souvent vous ne distinguez que du tissus assez souple pour être confortable et assez épais pour résister au poids de la couleur, aux effets des essences.
Puis, l´artiste s´anime enclenchée par la musique éclectique dont le choix prouve une envie, un état. Le zinc reçoit des vers de peintures huileuses rouges, jaunes, bleues, blanches, noires. Les couteaux étincelants, jamais abimés, juste marqués de l´empreinte des couleurs mélangées sont ses instruments .quand les grands plateaux de bois sur les tréteaux deviennent un étale de gammes de pages de différents grammages, il n´y a que ses mains délicates pour les manipuler dans leur fragile beauté colorée. La combinaison banale d´un zinc de cuisine, des couteaux, des couleurs primaires brutes de pomme la font démarrer et oser. Après l´effet cuisine, étrange chez elle, la compilation des musiques volumineuses la transforme en chanteuse, chef d´orchestre, musicienne ou danseuse. Elle travaille enfin les couleurs sur la toile. Cette toile blanche clouée au montant de bois invisibles est soutenue par le chevalet qui supporte l´énergie déployée. La toile tremble, le peintre libère ses endorphines et la musique idéalise la transe dans tous les sens cadencés. Des aplats de couleurs recouvrent la toile claquée puis caressée. Elle insiste, en rajoute encore et encore. Ensuite, elle la laisse se reposer et sécher. . En remet des couches puis la change pour enfin la dompter. Les papiers teintés, colorés en tout cas étudiés sont déchirés, pliés, dépliés, repliés, déployés et remontés. Elle travaille ainsi la couleur et la révèle en la structurant. La peinture est cet enfant sauvage qu´il est valorisant d´accompagner, d´équilibrer pour faire apparaître son caractère, son unicité. Elle lui donne ainsi une identité.la couleur devient matière. Elle lui donne corps. Le tableau existe et l´œuvre nait de cet équilibre qui fait sa beauté et invite au regard.
Le jeu de séduction s´opère quand le tableau devient une œuvre à part entière. Elle s´offre à l´autre tout comme l´artiste s´expose à votre regard…au risque de vous plaire.
Je suis cet autre, je suis celle qui regarde.je découvre dans ses peintures des lignes stabilisées dans leur droiture et leur géométrie accidentées qui révèlent des choses, des silhouettes. Tout comme l´équilibre de la structure fait la solidité d´une maison habitable, le squelette maintient le corps en lui donnant une attitude.je trouve dans ses textures des couleurs qui rythment les sentiments et une lumière qui livre une ambiance. Tout comme l´écriture magnifie l´histoire et en fait une signature, les chemins aux virages souples et aux reliefs de matières décrivent des voyages aux itinéraires mouvementés. L´œuvre éduque le regard, Nous guide dans l´histoire.
Nos sensations, ces interprétations ressenties, dévoilent toutes les dimensions de nous-même dans cette attraction ou cette interaction venant des intentions de l´auteur. C´est ainsi que l´œuvre, tout comme l´artiste, selon notre état d´âme de cet instant devant la toile, nous font vaciller ou nous affirmer. Enfant sauvage, j´ai envie de toucher pour accepter cette vérité intérieure et ainsi lui donner corps dans ma réalité .il faut que je touche pour m´appuyer, surtout ne pas tomber. Mais je ne tombe pas.ma sensibilité débute donc par cette frustration, montrant du doigt ma vanité. Touchée ! Outragée ?! Sans un geste, juste par l´art du travail de la couleur et de la matière aidée par l´immense champ de ma fragilité. Ce pouvoir convoite mes faiblesses et celles-ci envie cette force novatrice. L´œuvre nous plante ainsi dans cette interaction et cultive l´authenticité d´une rencontre pour cueillir cet instant où le temps ne s´égrène plus. Ce moment nous est tous connus, nous l´avons tous vécus. Il nous rassure. Les repères extérieurs annihilés, vous prenez votre intérieur en pleine face ; Fragile, vous réagissez ;Hermétique, le regard torve, vous détestez. Sensible, vous plongez dans vos vérités agréables, suspectes, intimidantes ou acceptées voire même, avouons-le, aimées…et vous aimez. Vous tombez sous le charme de l´auteur comme celui de vous-même, de votre propre ressenti, de cet intérieur qui va avec celui de votre refuge, votre maison.
Je possède des tableaux de l´artiste et j´ai aimé les choisir ailleurs au milieu d´autres, eux aussi exposés à tous ces regards dans ces galeries elles même habitées, maintes et maintes fois habillées. Je regarde les tableaux et ceux qui les regardent. Je vous regarde. Fragile, sensible, Allez-vous tomber ?En ma demeure, Oserais-je vous inviter ? Ils m´attirent autant vers l´intérieur que l´extérieur. L´équilibre naît aussi de l´union de cet intérieur/extérieur réconcilié et vous ne savez plus d´ailleurs si cette œuvre montre le cocon de votre chambre, l´intimité de vos draps ou l´esthétisme de cette nature brute faite de terres âgées, d´eau mouvante, d´air caractériel et de feu mijotant ou brulant qui vous entoure et fait notre genèse.
Le tableau est changeant selon la lumière. Votre regard accentue cette inconstance par votre état d´âme du moment. Tout au long de la journée, l´interaction de ces différents instants multiplie vos possibilités d´être, de paraître et nous jouons ensemble à être.
Faire l´expérience de l´art, c´est le trouver en soi porté par l´œuvre d´un autre. L´énigme prend son ampleur : Qui a fait ça ?! Qui a osé ? Comment a-t-elle fait ? Pourquoi ? Comment un tableau peut-il être à ce point détesté ou aimé ? Pourquoi une même œuvre peut toucher aussi différemment les gens sans qu´aucun d´eux ne voient la même chose ? Ma réponse est aussi simple que l´incompréhension est manifeste ; l´équilibre est là. Le ressenti est là. Ça va. Ça fonctionne dans la certitude d´une existence à part entière et ce quelques soient les fractures, les déchirures, les accidents, les ivresses, les pigments, les reliefs ou leurs rythmes. J´ai reconnu les miens, vous avez les vôtres ; auteur, acteur ou spectateur, je suis là, je ressens, je vais bien, devant vous, près de vous.
Le mépris nait de l´indifférence qui est impossible devant l´œuvre…ouf ! Le tableau est le point de rencontre de nos existences, de ces différences qui se percutent. C´est pourquoi j´aime regarder les couples choisir car ce temps suspendu les maintient dans un huis clos dangereux. Ils sont seuls à pouvoir en sortir, avec ou sans tableau, pour toujours rester un couple avec une nouvelle histoire partagée à raconter. L´abstraction est une rencontre qui révèle vos possibles. Elle définit les chemins de traverses que vous oserez prendre ou pose votre refus. Cette rencontre vous affirme. Il n´y a plus de questionnement. C´est la magie. Être ou ne pas être n´est plus la question. Être tout simplement. Ça fait du bien. Comme une mélodie que vous trouveriez jolie. Finalement, c´est enfantin.
Il y a quelques temps déjà, quelqu´un m´a dit que c´était de la folie. Je voulais vous dire qu´elle m´était douce et j´en prends une partie…pour être bien ici.
Au risque de vous plaire aussi…
Aline Bettler