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Jean-Pierre Sylvestre develop

Un art des équilibres

Maintes fois, j’ai constaté que les toiles de Marie captaient l’attention des personnes peu familières de l’art abstrait, parfois même réticente à son égard. Un temps, j’ai cru à tort que le pouvoir de séduction auprès des profanes et des sceptiques provenait de leur caractère subrepticement figuratif, de leur capacité à étonner l’œil du spectateur sans le désorienter au point de le laisser sans repères ni balises. En effet, on ne peut s’empêcher d’identifier sous l’évidente abstraction des formes colorées, des fragments d’êtres et d’objets réels ou imaginaires appartenant à notre univers familier : ici, l’esquisse d’un dessin d’enfant, là, un corps stylisé d’animal ou de quelque chimère, là encore les scories pétrifiées d’une comète évadée du cosmos ou l’élan incandescent d’une roche expulsée des entrailles de la terre… Je me trompais, parce que toute peinture, aussi absolument abstraite soit elle, conserve des liens non intezntionnels avec l’univers de la figuration. Nous ne pouvons jamais totalement prendre congé du monde où s’écoule notre existence ordinaire. L’art abstrait nous en arrache, mais seulement par bribe et par intermittence, comme par surprise. Les œuvres d’un Kandinsky, par exemple, malgré leur abandon radical de l’univers figuratif, évoque des membres d’insectes, des débris de planète, des lambeaux d’oriflammes, des pans d’édifices en équilibre improbable sur leurs angles acérés…

Je crois finalement que la singularité du talent de Marie Javouhey , réside pour l’essentiel dans sa maîtrise subtilement harmonique des forces et des rythmes contrastés. Elle s’exprime dans cet alliage complexe et quasi alchimique de fantaisie onirique et de rigueur architectonique, de légèreté contenue et d’application distanciée, de lyrisme et de sobriété, d’audace et de pudeur, de rugosité et de tendresse. La peinture de Marie échappe aux excès émotifs et aux facilités anarchique de « l’abstraction lyrique ». Elle réfute également la raideur formelle et la froideur impersonnelle de «  l’abstraction géométrique ». La musicalité intimiste de ses canaïeux chromatiques, qu’interrompent ou enlacent de minces lianes et que déchirent des silex sombres ou éclatants, se tient à distance de toute complaisance narcissique, et la composition assurément ordonnée de ses volumes lignes et plans n’est point désincarnée.

Fuyant le didactisme académique, d’une toile à l’autre et d’une exposition à l’autre, l’artiste trace discrètement mais résolument son chemin, sur lequel elle nous invite à la suivre pour partager ses convictions et ses hésitations, ses hardiesses et ses doutes, ses enthousiasmes et ses inquiétudes. On peut sans contexte discerner des périodes dans cet itinéraire, avec des inflexions, des bifurcations ténues, mais pas de ruptures majeures, de brusques changements de direction, de soudains abandons ou de choix totalement impromptus. Une intuition première – un instinct peut-être – semble l’habiter et la guider. Non pas qu’elle ignore ou cherche à masquer ses influences, ses dettes et ses admirations ( Paul Klee, notamment) ; mais elle butine ses modèles avec une telle liberté d’esprit et d’inspiration, que l’originalité de sa création, loin d’être atténuée, s’en trouve au contraire rehaussée. L’œuvre se perpétue sans se répéter et se transforme sans s’oublier. Au fil des ans, la peinture s’est épurée, elle ne s’est pas pour autant apaisée. Elle offre plus que jamais ce mélange de jubilation et de gravité contrôlées qui fait son mystère et sa beauté.

Jean-Jacques Wunenburger develop

Les tableaux de MARIE JAVOUHEY sont des promesses de mondes qu’on pressent sans jamais les arraisonner : véritables espaces transitionnels, ils conduisent toujours plus loin dans des labyrinthes dont on ne touche jamais la fin. La plénitude des surfaces ménage toujours une ouverture imprévue, fait circuler une liberté errante. Il y a quelque naïveté dans ces tableaux, un vague inachèvement, une hésitation devant le définitif, parce que l’artiste sait que les formes jouent, comme l’enfant, mais aussi comme le vieux bois qui continue de vieillir, de se transformer toujours. Le travail ne saurait jamais se dire tout à fait achevé, car un tableau peut-il avoir une fin ? ; la main est toujours appelée à retoucher , à réajuster encore, pour obéir à ce qui n’est, à vrai dire, que la vie inépuisable des formes. 

J-Jacques Wunenburger, professeur de philosophie ,
Directeur du Centre de Recherche sur l’imaginaire et le rationnel,à l’Université de Bourgogne.

Jean Libis develop

La sérénité exceptionnelle qui émane de certains tableau est ce qui  me frappe le plus dans cette peinture qui ne boude jamais la référence au plaisir. Alors que certains artistes contemporains procèdent à une facture convulsive ou destructive pour exprimer les tragédies de notre époque, l’œuvre de MARIE JAVOUHEY semble indiquer plutôt que la beauté sereine, que la beauté maîtrisée pour elle-même constitue le vrai processus de subversion, ce par quoi émerge le mystère fondamental de notre relation au monde.

Du reste, et pour autant que l’on puisse en juger, la peinture de MARIE JAVOUHEY est solidaire d’un humanisme qui met en relief la liberté de l’être humain bien plutôt que l’angoisse métaphysique. Si le processus créateur est à la fois remise en question de soi et cheminement libérateur, c’est aussi vers autrui qu’il se tourne, en quête de communication et de liberation mutuelles. Par là, on comprend mieux que cette peinture se refuse à nous violenter, malgré des véhémences souvent contenues.

Jean Libis, Ecrivain

Heinke Fabritius develop

S’il fallait affirmer que ces œuvres sont mystérieuses, ce serait trop simple et on supprimerait une dimension essentielle de leur qualité artistique, en se contentant d’en souligner l’aspect inexplicable. Alors que ce qui fait l’œuvre elle-même, c’est précisément ce qui commence à se révéler sous notre regard, ce qui le ramène sans cesse à elle et continuera à se révéler après. C’est seulement alors que « nous y sommes » et que nous réalisons que pour y rester, nus devons tout reprendre au début.

Heinke Fabritius, critique d’art à Berlin

Maurice J. Estrade develop

A remarquer dans l’approche de la peinture de MARIE JAVOUHEY, une double ambivalence qui ne peut nous laisser indifférent tant elle répond à notre mode de perception du quotidien. D’abord un double effet spatial où s’imposent en même temps une vision en plan vertical et une vision surplombante en plan de surface : une vue d’écran et une vue d’avion. Deux appréhension spatiale très présente dans notre quotidien en référence avec l’écran bureautique et télévisuel et, d’autre part, le déplacement aérien.

Extrait de M J Estrade, « Gestion de Fortunes », Nov 1997

Harry Kampianne develop

La matière transpire, épaisse et nerveuse sur une texture conçue comme un huis clos où flottent des puzzles emboités. Pourtant le geste n’a rien de tendu. Il y a sans doute une résolution et surtout une générosité à mettre en scène des nappes et des entrefilets de pâte colorés qui non seulement prennent forme dans une sorte de symphonie silencieuse et aérienne mais aussi dans une inflexible concentration que l’artiste nourrit avec bonheur grâce à une belle force de conviction dans l’élaboration de ses compositions. En autodidacte curieuse et réfléchie, MARIE JAVOUHEY nous propose un regard ludique plein de petites histoires apparentées aux étapes de la vie. Les superpositions « géologiques » de sa peinture sont à l’image de sa technique lorsqu’elle souligne que : « chaque couche est nécessaire à la suivante, elle n’existe pas sans elle et représente un processus d’évolution. Lorsque je gratte ensuite la couleur et que l’une des couches inférieures apparaît, je montre que le passé est nécessaire au présent et que tous deux sont interdépendants.

L’artiste met en mouvement un équilibre qui peut sembler fragile ou même précaire lorsqu’elle retranscrit sur ses toiles ces mondes clos en apesanteur. Pourtant rien n’est plus solide que ces petites bulles spatiales que l’on dirait construites sur des lignes de flottaison. On a vaguement l’impression qu’un sentiment d’insécurité va nous surprendre, et néanmoins c’est le contraire, la stabilité mouvante nous rassure. C’est en quelque sorte cette dimension essentielle qui fait la force créatrice de cette peinture. MARIE JAVOUHEY ne recrache pas mécaniquement des émotions ou des réflexions accumulés au gré d’histoires vécues ou imaginées, elle les retravaille, les stratifie, les façonne, les malaxe avec la douce énergie d’une femme d’abord contemplative puis très vite résolue et précise au fur et à mesure que sa recherche avance. Séduit par la profondeur de son travail, le philosophe et écrivain JEAN LIBIS dit de MARIE JAVOUHEY : « que son œuvre picturale ne cultive ni les joliesses, ni le pittoresque, ni les filons à la mode, ne s’inscrit pas dans le reigne de la facilité et ne cultive pas plus l’académisme que les contorsion d’avant garde. » Ce qui en soi est un beau compliment.

Harry Kampianne, Arts Actualités Magazine, Janvier 1999

Michèle Pichon develop

Couleurs et Sentiers pour rêver :

« La couleur est vivante » disait Cézanne. Chaque toile de Marie Javouhey est un monde issu d’une couleur essentielle et structuré par elle. Nuances et camaïeux s’organisent et s’interpénètrent. Les passages sont progressifs, discrets. Généralement, chaque plage colorée porte en elle des traces délicates, des vestiges ténus de teintes environnantes ou de la tonalité dominante. Née d’une matière picturale dense, savamment et subtilement travaillée, la couleur produit la lumière qui anime l’ensemble des tableaux.
Ainsi, l’imagination du spectateur peut-elle s’aventurer dans l’intimité de mondes élémentaires, dans tous les bleus du ciel, de l’eau et de la nuit, dans les beiges et les ocres éteints des sables et des argiles, dans les orangers et les rouges du soleil couchant.
Au sein de cette matière picturale compacte et sensuelle, la rêverie n’est pas dépourvue d’ancrages. Quelques sentiers effilés au tracé erratique, léger et nonchalant, parcourent les surfaces colorées. Ils tissent les fils d’un rêve issu d’une perception visuelle, d’une impression auditive, d’un souvenir. Pour le spectateur, peu importe leur origine, ce sont des chemins ouverts à son imagination, sur lesquels il se laissera conduire.
Mais ces chemins ne sont pas sans repères, ni occasions de découvertes. On y rencontre de petits îlots de matière légèrement protubérante aux couleurs intenses, aux contours irréguliers, des formes géométriques incertaines, des esquisses allusives, d’humbles objets de la vie quotidienne, des personnages semblant issus de bandes dessinées ou de rêveries enfantines, des êtres et des objets loufoques, naïfs, dérisoires parfois : moulin à café, « Machine à prendre son temps », têtes diverses et autres « Trublions ».
« Cheminement » est un titre récurrent. L’artiste, en effet, trace les chemins d’une rêverie ludique où aucune forme vraiment arrêtée ne coupe les ailes à l’imagination. Affranchie à la fois des contraintes de la représentation et des fantasmes intérieurs qui, ordinairement, envahissent une rêverie sans guide ni point d’ancrage, l’imagination du spectateur trouve dans le tableau l’espace d’un libre jeu. C’est là, sans doute, l’origine de la séduction qu’exerce sur nous l’ouvre de Marie Javouhey et de la joie qu’elle nous procure, au-delà de l’enchantement visuel immédiatement provoqué en nous par la couleur.

Michèle Pichon.


Pour information :
Michèle Pichon est agrégée de philosophie et docteur en philosophie. Elle travaille en collaboration avec des peintres et des plasticiens et a rédigé divers articles sur l’Abstraction naturaliste ainsi que sur l’utilisation de l’outil informatique et de la géométrie fractale dans les arts plastiques.